Il a fallu trois articles pour raconter dans le journal Ouest-France le destin agité de l’abbé Gautret (1737-1818). Persécuté sous la Révolution, le curé de Boussay connut la clandestinité et l’exil en Espagne, avant de retrouver sa paroisse en 1800.
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Les trois articles sont reproduits ci-dessous (cliquez sur les images pour les agrandir), avec leur retranscription. Les compléments et les corrections sont apportés dans le texte entre parenthèses. À noter que j’ai supprimé du premier la dizaine de lignes inutiles dans lesquelles l’historien Jean-Clément Martin nous explique qu’il ne connaît pas ce prêtre.
Gautret, les débuts d’un curé au destin agité
(Ouest-France, 2 août 2017)
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(Né le 30 mars 1737 à Montfaucon-sur-Moine, Pierre Joseph Gautret était le fils de Pierre René Gautret, notaire, et de Louise Angélique Brunet.) En 1776, Pierre Joseph Gautret devient, à 40 ans, curé de Boussay (sa première signature au registre paroissial apparaît le 8 avril 1776). Auparavant vicaire à Couffé, il baptisa le général Charette, futur héros de l’armée vendéenne. À Boussay, il remet en état l’église, la cure et le cimetière et son exercice se passe bien.
Lorsque la Révolution éclate en 1789, elle n’affecte pas sa position. Au contraire, en 1790, Gautret préside l’assemblée qui désigne un maire et un conseil municipal. Mais les ennuis arrivent ensuite. En 1791, pour continuer d’exercer, les prêtres doivent accepter la Constitution civile du clergé. Gautret considère, comme beaucoup d’autres, qu’elle crée une rupture avec le Pape et la refuse.
L’abbé Briand, dans les Notices sur les confesseurs de la foi dans le diocèse de Nantes pendant la Révolution, publiées en 1903, indique que seuls deux prêtres le firent « dans le pays : celui de Tiffauges et celui de La Séguinière » (ce qui est inexact : s’il y eut bien des jureurs installés en 1791 à Tiffauges et La Séguinière, les prêtres de ces deux paroisses avaient refusé le serment, à savoir, pour Tiffauges, MM. Thomas et Robin, curé et vicaire de Saint-Nicolas, et Chevalier, curé de Notre-Dame ; MM. Pasquier et Buchet, curé et vicaire de Notre-Dame de La Séguinière).
Gautret devient hors la loi et risque la prison. Il admet à la première communion tous les enfants qu’il juge capables, se charge des cérémonies de la Semaine sainte, puis disparaît dans la nuit du Samedi saint au jour de Pâques. Il devient alors un renégat et est contraint de se cacher dans Boussay. Plusieurs fois dénoncé, il est capturé, enferméà Nantes, puis exilé en Espagne, en 1792.
Mais il finit par revenir. En 1798, après avoir essuyé une tempête en mer, s’être caché pour sortir de Nantes et avoir longé, de nuit, les bords de Sève, il redevient le prêtre de Boussay. Il meurt dans la cure le 7 novembre 1818 à l’âge de 82 ans.
Des tensions pendant l’exil espagnol de Gautret
(Ouest-France, 5 août 2017)
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En 1793, « les Mayençais occupent d’abord le village de Boussay et en chassent un poste assez faible de Vendéens ». Marie Louise Victoire, marquise de La Rochejaquelein, fut malgré elle, au cœur de la tourmente des Guerres de Vendée. Elle parle de Boussay dans ses Mémoires, parues en 1814 (et non 1815).
La ville est alors au cœur des troubles. En 1793, Gautret, prêtre de Boussay a déjàété capturé. Il est enferméà Nantes, puis exilé en Espagne. L’abbé Briand raconte comment cela est arrivé. Le 2 juin 1792, une émeute éclate à Saint-Joachim. « Les prêtres réfractaires sont accusés de l’avoir incitée. »À Nantes, on demande leur tête et « une chasse à l’homme commence ». Les forces de l’ordre de la jeune République française les pourchassent.
Gautret se réfugie au château de la Poupelinière, à Boussay. Caché dans les genêts et les rochers du bord de Sèvre, il assure la messe pour une partie de la population, qui attend de lui qu’il continue son exercice, même clandestinement. Mais il est découvert par des ouvriers agricoles et doit se cacher ailleurs, à la Hérie (au nord du bourg), « chez Pierre Duret ». Il y est reconnu par un mendiant suspect. Il part à Montfaucon. Finalement il est capturé, fait prisonnier à Nantes et doit quitter la France.
Le 11 septembre 1792, 97 prêtres, dont Gautret, embarquent « sur cinq navires en face de Paimbœuf, direction Santander et Saint-Sébastien, en Espagne ». Gautret laisse une lettre autorisant tout prêtre qui n’a pas accepté la Constitution civile du clergéà officier dans l’église de Boussay.
En 1793, beaucoup s’y réfugient et y donnent des messes. Des sentinelles, postées aux quatre coins de la paroisse, veillent et alertent les prêtres lorsque les forces de l’ordre arrivent, pour leur permettre de se cacher. Au Châtelier (à l’est de la commune, près de Torfou), ils se terrent dans une pièce annexe, que les soldats républicains manquent de découvrir, Pour protéger les lieux, « ils entassent les meubles devant l’entrée de la cachette ». Le château de la Poupelinière devient aussi un refuge.
En 1793, la situation s’envenime. Une colonne de l’armée s’installe à Boussay. La République décide d’attaquer les territoires insurgés. Boussay sombre dans la guerre, notamment durant la bataille dite de Torfou. Pendant ce temps, en Espagne, Gautret prépare son retour…
Le retour en grâce de Gautret après son exil
(Ouest-France, 7 août 2017)
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Gautret, curé de Boussay, était en exil forcé en Espagne depuis 1792. « Il ne voulut pas dire ce qu’il y faisait, écrit l’abbé Briand. Il décida de rentrer fin 1797. »
Stéphane Gomis, professeur d’histoire moderne à l’université de Clermont-Ferrand a étudié la vie des religieux exilés en Europe. En Espagne, « les émigrés doivent prêter un serment de fidélité au roi, assorti de l’obligation de ne pas parler de ce qui se passe dans leur pays ». Ils y sont souvent pauvres, n’ayant à vendre que des messes. Leurs retours suivent majoritairement le Concordat de 1802.
Gautret, lui, revient avant, toujours dans la clandestinité. « Il décide de rentrer fin 1797, précise l’abbé Briand. En 1793, il se renseigne auprès de l’abbé Richard, curé de la Trinité de Clisson, lui aussi en fuite en Espagne, qui lui indique que la persécution a repris mi-août. Mais Gautret rentre quand même. »
Son retour est mouvementé. Il essuie une tempête en mer, entre dans Nantes, en sort certainement caché dans la paille d’une charrette, passe par Gorges, « longe la Sèvre jusqu’à Chevalier (à la limite ouest de la commune), où il passe la rivière et vient frapper à la porte de Jean Perray. »
Revenu en mars 1798, il continue à se cacher pendant deux ans. En 1800, il reprend son exercice. Il redevient le curé officiel de Boussay après huit ans d’exil forcé. Il assure à nouveau officiellement l’encadrement des rites si importants pour la population : baptême, mariage, enterrement. Sans doute avec une autorité et une aura encore plus grandes qu’avant. Car le territoire, désormais anciennement insurgé, détruit et vidé de sa population par la guerre civile, s’accroche davantage à sa religion, en refusant notamment le Concordat et l’évolution du catholicisme.
« Les prêtres reviennent avec une rechristianisation parfois contre l’Église », souligne Jean-Clément Martin, historien, ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, qui a étudié la période suivant la retour des prêtres. Le retour d’exil en martyr des prêtres « explique la Petite Église » et provoque quelques mouvements « ultras », mais explique aussi le lien fort qui se tisse au XIXe siècle entre les populations et leurs prêtres.